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A S**** et à L***,

Ce 22 mars 2016, il s’est encore passé quelque chose. Et malheureusement, ici, le mot « encore » ne sonne pas comme une surenchère victorieuse.

Vous savez, des événements tragiques comme celui-ci, il y en a eu un certain nombre ces derniers temps. D’autres peuples ont été touchés par de tels actes barbares.

Un peu plus de 4 mois avant ce drame, deux semaines seulement avant ta naissance, L***, le 13 novembre exactement, c’est arrivé beaucoup plus près qu’à l’habitude, trop près, on aurait pu y être. Il m’avait alors fallu combattre la noirceur qui avait envahi mon esprit à l’époque, il m’avait fallu redoubler de force pour que ton arrivée reprenne le dessus et pour que ces 15 derniers jours se transforment en victoire.
Aujourd’hui, ça arrive à nouveau, ailleurs, un peu plus loin mais pas si loin que ça et d’avoir été touchée de près une première fois, me fait revivre ces sensations.

Avant, quand c’était loin, je n’avais pas peur, je n’étais pas inquiète, je continuais à vivre comme si de rien n’était.
Je sais, ça peut paraître égoïste. Pourtant, je ne suis pas inhumaine ou insensible, ce n’est pas ça. Evidemment, ça me touche. Evidemment, je suis au courant. Je ne ferme pas les yeux mais je ne les ouvre pas beaucoup, j’évite de trop m’informer sur ces événements, j’essaie de ne pas lire, de ne pas entendre. Je me protège, je nous protège parce que, si à chaque fois que ce genre d’horreur arrive, j’y pensais trop, je ne tiendrais sûrement pas le coup. Alors, même si je sais que ça existe, je me dis que c’est loin, que ce n’est pas chez nous, que ça ne peut pas être chez nous, que c’est irréel, que c’est un cauchemar, que c’est un film. Je n’occulte pas, je transfère ça dans un autre monde, celui qui ne sera jamais le mien. Mon esprit n’est pas conçu pour m’aider à réaliser que c’est la vraie vie. En y réfléchissant, je me dis que je ne suis peut-être pas assez forte pour ça et en y réfléchissant encore, je me dis qu’au contraire, je suis peut-être suffisamment forte parce que mon inconscient le transforme. Ne pas en parler, ce n’est pas fermer les yeux, c’est garder le coeur ouvert et le cerveau intact, c’est surtout garder espoir.

C’est vrai, maintenant que ça s’est rapproché, je ne peux plus me dire c’est un film ou juste une erreur, un épisode raté. Je sais bien que ça arrivera encore, et on sera amené à traverser ces lieux de passages, ces lieux prisés de la capitale où le drame est prêt à revenir, c’est notre vie. Je ne suis jamais allée sur les lieux des événements du 13 novembre 2015 et je ne sais pas si je pourrai un jour m’arrêter à nouveau à la station République ou aller au bout de la rue où se trouve pourtant ma pâtisserie préférée parce que malgré tout, je voudrais que ça n’ait pas existé et le seul moyen c’est de ne pas voir même si je le sais.

Et même si mon inconscient continue à me protéger quand ça arrive, aujourd’hui, rien n’est plus pareil.
Je continue a essayer de ne pas trop voir mais je sais.
Je continue à essayer de ne pas trop savoir mais j’entends.
Je continue à essayer de ne pas entendre mais je ressens.
Je continue à essayer de ne pas trop ressentir mais je me souviens.
Et j’ai peur.
J’ai peur, oui, mais…

J’ai peur parce que notre vie est toute proche des endroits les plus susceptibles d’être touchés. Mais aussi de tellement de belles choses !
J’ai peur parce que je ne peux pas vous protéger indéfiniment et de tout mais je peux en avoir un peu le sentiment.
J’ai peur parce que je ne sais pas ce que je vais pouvoir vous dire quand vous serez en âge de comprendre et que ça arrivera à nouveau mais je serai là.
J’ai peur parce que je ne saurai pas répondre à vos pourquoi mais on réfléchira ensemble.
J’ai peur car je ne serai jamais en mesure de vous expliquer ce que moi-même je ne comprends pas mais je serai heureuse de ne pas pouvoir le faire car la haine ne sera pas banalisée.
J’ai peur parce que ça sonnera sûrement faux si je vous dit : « n’ayez pas peur, c’est fini, vous ne risquez rien, je vous protège » mais je vous préserverai du mieux que je peux en vous aidant à voir au-delà.
J’ai peur car je n’arriverai pas à vous donner les armes pour affronter ça, pour le contrer, pour l’éviter mais je sais que ce ne seront jamais celles de nos agresseurs.
J’ai peur car je ne pourrai jamais vous apprendre à surmonter les jours où ça arrivera mais je pourrai vous apprendre comment profiter de tous les autres jours, ceux où ça n’arrivera pas car ils sont bien plus nombreux !
J’ai peur parce que j’ai gardé cette innocence enfantine, celle où l’on se cache les yeux quand le film fait trop peur et quand on enlève les mains, tout est fini, on n’a rien vu, on a gardé que le meilleur. Sauf que dans la vraie vie ça ne marche pas mais je vous apprendrai à le faire quand même un peu.
J’ai peur parce que vous comprendrez que notre monde n’est pas celui des bisounours mais on fera qu’il le soit quand même un peu suffisamment souvent
J’ai peur que vous ayez peur mais je vous apprendrai aussi à garder confiance et espoir, toujours et malgré tout.
J’ai peur que vous ayez de la peine mais vous ne serez pas seuls et je vous apprendrai que pleurer est quelque chose de normal.
J’ai peur parce que c’est moi qui vous ai amené dans ce monde mais je vous en montrerai aussi toutes les richesses.

Et si à un moment, la peur l’emporte et que je flanche un peu, je me rappellerai qu’avant toutes vos découvertes, tous vos exploits, toutes vos réussites, vous avez fait et refait, recommencé encore, persévéré sans jamais penser une seule fois que vous n’y arriveriez pas.

Ne vous arrêtez pas malgré vos peurs, il y aura toujours un mais !

A L*** (mon petit Caillou),

C’était le week-end du 13 novembre 2015. Ce week-end là, je pensais commencer à coudre ton Bai jia bei, ta couverture aux voeux. Le vendredi soir, j’avais déjà étalé tous les carrés de tissus sur le sol du salon pour me faire une idée de ce que ça donnerait. Puis j’avais pris une photo et j’avais tout empilé minutieusement pour pouvoir commencer la couture le lendemain. C’était avant et il y a eu un après, pas celui que j’attendais.
Le lendemain, j’ai commencé la couture, c’était prévu ainsi et malgré les évènements difficiles, j’ai décidé de ne pas changer mes plans. Au contraire, je me suis encore plus investie dans la tâche. J’ai cousu régulièrement pendant ces deux jours de deuil national. J’ai cousu parce que célébrer la vie qui allait arriver était plus important que tout, peut-être encore plus à ce moment là. J’ai cousu pour détourner de temps en temps mon regard de l’actualité tragique et m’accorder les respirations salvatrices nécessaires.
J’ai cousu parce que je refuse que pour toi, ce jour du 13 novembre 2015 soit celui des attentats de Paris. Il ne sera pas le jour où une poignée de monstres se seront unis pour faire le mal, non ! Il sera le jour où un grand nombre de personnes proches ou moins proches, des personnes que je ne vois même pas tous les jours, de tous les âges et de toutes les cultures différentes, se seront unies pour t’apporter tout le meilleur de ce monde, plein de force et autant de douceur. Il sera le jour où tous les voeux qu’ils t’ont prodigués, parfois de l’autre bout du monde, auront été réunis au travers de l’assemblage de carrés de tissus remplis de couleurs.
En ce week-end du 13 novembre 2015, je suis contente de m’être lancée dans ce projet, il prend encore plus de force, il me semble encore plus important que je ne le pensais, il symbolise l’union et l’humanité. Et quand moi-même je ne croirai plus en ce monde de bisounours que je m’entête à conserver depuis toute petite (et ce n’est pas fini), il me suffira de te regarder dans cette couverture pour reprendre espoir. Et si ça n’est pas encore assez, je me roulerai dedans avec toi. Parce que toi aussi, plus tard, tu en auras besoin. Quand des drames arriveront, que tu seras perdu, que tu chercheras à comprendre mais que tu n’y arriveras pas car comme moi tu ne seras pas conditionné pour comprendre la haine alors tu en auras besoin, besoin de voir que l’union et l’amour existent et restent toujours malgré tout.

Aujourd’hui, je te le dis mon fils, oui ces derniers jours, malgré ce beau projet de couverture, j’ai eu du mal à détourner les yeux de l’actualité, j’ai eu le coeur rempli de larmes, j’ai eu l’esprit torturé car je voulais comprendre l’incompréhensible et tu as dû le sentir car tu t’es fait plus discret qu’à l’habitude. Alors, à un moment, on a dit stop, on a décidé de troquer BFM TV contre le dessin animé Vice Versa et on a continué à sourire et à rêver, et on a fait de la place dans notre coeur pour des larmes plus joyeuses cette fois. C’était le week-end du 13 novembre, il y a eu un avant et il y a eu un après. Aujourd’hui, je te dis ce que je n’ai pas pu te dire avant : ne t’inquiète pas. Je reprends doucement le dessus, je vais te protéger, ta famille au sens large du terme va te protéger. Aujourd’hui, je pense à toi, tu as repris tes galipettes dans le ventre, dans quelques jours, tu seras là et je suis prête à t’accueillir.

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