Trois mois.

Je crois bien que ça fait 3/4 mois que je n’ai rien posté sur le blog, et peu de choses sur les réseaux, peut-être plus. Ce n’est pas l’envie qui manque, au contraire, des articles, j’en ai pas mal qui me trottent dans la tête,… ça m’énerve, ça me plaît de faire ça mais à chaque fois que je me dis, « je vais reprendre » ou « tiens c’est sympa ça je vais le partager», je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. Ça doit faire trois mois que je me dit continuellement « on verra demain » ou que j’ai l’impression de ne plus savoir faire ni par où commencer.

Ça a commencé par la reprise du travail qui devait se faire en juin sous la contrainte ou devrais-je dire sous la menace de perte de poste. C’est comme ça dans l’éducation nationale, tu dois revenir au bout de 6 mois de congé parental et même si c’est pour 3 semaines, même si ça chamboule l’organisation d’une classe et la vie d’enfants, même si ça te demande de tout stopper et de trouver un moyen de garde à la pire période de l’année, ils s’en fichent, tu dois revenir, c’est les textes. Je l’ai vécu comme une punition. Je suis punie d’avoir osé m’arrêter pour m’occuper de mes enfants et reprendre un peu d’énergie et finalement je suis punie d’être une femme puisque ce sont en majorité les femmes qui prennent un congé parental. Bloquer un poste plus de 6 mois pour une autre raison, détaché syndical, coordinateur rep,…. tu conserves ton poste, un congé parental non, ça n’a aucune utilité après tout,…

Je suis donc allée à l’école animer des ateliers en amont plusieurs semaines avant ma reprise, ma fille sur le dos, pour que la transition soit plus douce pour les enfants et j’y ai cru. Jusqu’au bout. J’ai cru que je pouvais le faire. J’ai passé plusieurs mois à réfléchir à un petit projet de fin d’année sympa, plusieurs mois à chercher un moyen de garde pour ma fille, à appeler des nounous, à contacter des crèches, à me déplacer, à faire des papiers,… j’ai passé du temps à voir comment j’allais pouvoir m’organiser entre le boulot, l’adaptation à la crèche, la récupération de 3 enfants dans 3 établissements différents, leurs activités scolaires et prises en charge extérieures juste pour 3 semaines,… j’ai dû mettre fin au don de lait au lactarium et priver des bébés prématurés de cet or blanc si précieux pour eux et que j’étais si fière de réussir à offrir,… j’ai passé du temps à expliquer à mes enfants que dans cette fin d’année fatigante pour tout le monde, ils allaient devoir aller à la matinale et au goûter de 7h30 à 18h30 et le mercredi au centre de loisirs, juste pour 3 semaines, juste pour que je ne perde pas mon poste.

Tout ça pour 3 semaines. En septembre je reprends à mi temps mais évidemment la reprise pour 3 semaines est obligatoirement à plein temps,… Il fallait donc mettre en place une organisation pour 3 semaines et une autre différente pour la rentrée. Double peine. Je n’étais pas prête, ce n’était pas mon souhait.

L’adaptation à la crèche a été plus complexe que je ne pensais, on m’a appelé tous les jours pour me demander de venir encore plus tôt et on m’a dit que ce serait bien de continuer les demi journées un moment (en sachant que ce serait impossible avec mon travail) ou de venir sur le temps du midi allaiter,…. Revenir dans ma classe qui n’était en fait plus la mienne à ce moment à été plus complexe que je ne pensais, j’avais perdu tous mes repères.

On m’a conseillé de demander un arrêt. Je n’ai jamais fait ça, je ne sais pas faire ça, je ne me suis pas sentie légitime, je me suis dit qu’il fallait tenir juste 3 semaines coûte que coûte.

Le vendredi avant la reprise, j’ai compris que je n’y arriverais pas mais pleine de culpabilité, j’ai eu du mal à me dire que j’avais le droit de me faire aider par le médecin. J’ai quand même pris rendez-vous le lundi matin. Sous la pression intérieure et indirectement extérieure, le samedi, j’ai décalé mon rendez-vous au lundi soir pour ne pas que les élèves se retrouvent sans personne la journée parce que le rectorat s’était déjà empressé d’envoyer ma remplaçante ailleurs. C’est aussi le jour où j’ai reçu mon injection covid. J’ai espéré secrètement avoir des effets secondaires suffisamment forts pour être arrêtée. Si ça ne venait pas directement de moi, si la cause était totalement extérieure, j’aurais moins culpabilisé, j’aurais été soulagée.

Les effets secondaires ont été classiques et légers.

Le lundi je suis allée au travail. J’ai prévenu tout le monde et mes supérieurs que ça n’allait pas, que je n’allais pas tenir. J’ai pensé un temps simuler des effets secondaires de vaccin. Je n’assumais pas. Je vivais ce moment comme un échec, j’avais honte de ne pas réussir à tenir, juste 3 semaines.

Avant de quitter l’école, on m’a incitée à demander à mon médecin qu’elle me donne mon arrêt plutôt le mercredi car il n’y avait pas de remplaçant le lendemain et que quand même ça allait rendre les choses compliquées avec les parents. Je me suis dit que c’était déjà tellement difficile pour moi d’oser aller chez le médecin parler de ma situation, tellement difficile d’accepter que mon corps et mon esprit étaient en train de lâcher, que je ne pourrais pas lui demander ça. Et puis ça voulait dire quoi cette demande au juste ? Que j’allais demander un arrêt de complaisance ? Qu’en fait ça n’allait pas si mal et que donc je pouvais m’arrêter n’importe quand et faire un jour de plus. Et puis tiens, pourquoi pas 3 semaines ? Juste trois semaines pour dépanner, même si je craque à la fin, ce n’est pas grave du moment que ça n’embête personne.

Je ne savais plus quoi faire, la culpabilité était toujours présente. Ils avaient réussi à me faire douter de moi-même à nouveau et j’ai essayé de me persuader qu’ils avaient peut-être raison, qu’après tout j’avais tenu le lundi et que c’était juste un jour de plus. J’allais embêter les enfants, les parents, la hiérarchie, je devais faire un effort. J’ai voulu décaler mon rendez-vous au mercredi, mais c’était trop tard.

Le lundi est une journée difficile. Comme je n’aurais pas le temps d’emmener mon fils à la danse à l’heure après mon travail sachant qu’il fallait récupérer sa sœur à la crèche, mon mari me l’a déposé à midi. Il a passé l’après midi dans ma classe. En sortant de l’école j’ai couru à la crèche récupérer numéro 3 puis à la danse déposer numéro 2. Avec numéro 3 sur le dos, il a fallu remonter au pas de course chercher numéro 1 à l’école, le déposer à la maison et redescendre toujours au pas de course récupérer numéro 2 à la danse. J’étais en retard et dans un état d’épuisement tel que j’avais tout oublié en redescendant, mes papiers, mon argent, tout. Après presque 4 km au pas de course, j’étais en larmes au téléphone avec mon mari en pleine ville J’avais tout contenu pendant la journée, tout s’était bien passé, les élèves avaient été vraiment chouettes et j’avais réussi à tenir pour eux et grâce à eux mais mon bateau était en train de prendre l’eau de toute part et je n’arrivais plus à écoper.

J’étais angoissée car je n’avais pas pu répondre positivement à la demande de rester un jour de plus et parce que je laissais mes élèves que j’avais été heureuse de retrouver malgré tout. J’avais peur de les décevoir.

Il était l’heure de mon rendez-vous chez le médecin, j’étais avec deux de mes enfants et le plus grand tout seul à la maison et je n’avais plus le temps de retourner chez moi pour prendre ma carte vitale et de quoi payer. Mon mari a sauté dans un métro et m’a dit d’aller quand même chez le médecin. Je me suis écroulée en salle d’attente.

Le médecin m’a écoutée, auscultée puis arrêtée, je n’ai ni eu besoin de mentir, ni de me justifier, pour elle c’était une évidence, c’était un arrêt nécessaire et immédiat. Sur mon arrêt elle a écrit « syndrome anxiogène » J’étais soulagée qu’elle n’écrive pas « burn-out », même si, on ne va pas se mentir, ça y ressemblait, je l’ai touché du bout du doigt mais je n’assumais tellement pas, que je ne voulais pas l’entendre. Je m’étais toujours dit que ça ne me toucherait pas, pas moi, je le verrais arriver. Et c’est vrai, on le voit bien arriver mais on laisse sa porte grande ouverte malgré tout, pour plein de raisons, parce qu’on croit qu’on peut tenir, parce qu’il y a une certaine pression, parce qu’on culpabilise, parce qu’on a peur d’être jugée, parce qu’on se sent responsable, parce qu’on pense aux autres, parce qu’on pense que le monde ne peut pas tenir sans nous, parce qu’on se dit que c’est juste 3 semaines.

Heureusement qu’elle m’a arrêtée. Je ne sais pas dans quel état je me serais trouvée sans cela. Et puis juste après, ma fille a enchaîné les otites pendant les trois fameuses semaines. Le traitement ne fonctionnait pas, puis suspicion de méningite pendant plusieurs jours. Il y avait aussi une montagne de paperasse en retard, des inscriptions pour l’année prochaine, des réunions, un énorme nettoyage à faire dans la maison,…J’avais tout bloqué sans vraiment le réaliser, mis sur off tout le reste pour tenter de réussir cette reprise. Et dès lors que j’ai été arrêtée, après un gros relâchement comme un corps et un esprit épuisés qui ont enfin le droit au repos, j’ai pu faire ce que je n’avais pu faire depuis des semaines.

J’ai été arrêtée à temps mais ça aurait pu ne pas être le cas. Miraculeusement j’ai retrouvé le sommeil perdu depuis des semaines et progressivement l’énergie d’avancer enfin à nouveau. Le petit souffle qui manquait pour repartir sur de bonnes bases.

Trois semaines c’est peu, mais en trois semaines tout peut aussi basculer.

Quand on a une jambe cassée on se fait arrêter sans problème, pourtant on peut faire certains métiers avec une jambe cassée. Quand on s’écroule à l’intérieur, on ne s’autorise pas à aller chez le médecin, pourtant on ne peut absolument faire aucun métier dans ce cas.

C’était juste trois semaines, trois semaines de trop.
Traverser des difficultés est normal. Se dire que c’est assez est sain et permis. Dire stop est un droit et une démarche nécessaire et courageuse. Demander de l’aide est indispensable. Refuser de traverser certains défis trop pesants, trop douloureux, trop préoccupants est sensé et salutaire, que ce soit pour trois semaines ou une seule journée. Bon courage, vous n’êtes pas seul.