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Lettre à ma future Ploumette, O*****

Tu auras un prénom empreint d’un combat, un prénom qui lutte et qui résiste, c’était écrit.

Premier jour de juin, dernière ligne droite avant ton arrivée.

Depuis le début de la grossesse, j’ai été extrêmement zen, sûrement trop, je ne me suis préoccupée de rien ou presque, comme si tout allait de soi. Un de plus, un de moins comme on dit 🙂 Ce n’est pourtant pas mon genre mais tant mieux, j’ai vécu sans stress, la tête prise ailleurs entre les enfants et le travail, je n’avais pas le temps de m’inquiéter et pas de raisons non plus, la grossesse se passait plutôt très bien.

Puis il y a eu cet événement que l’on pensait tenir à distance car ces choses là n’arrivent qu’aux autres, c’est ce qu’on se dit. Nous nous sommes fait surprendre. Rien n’allait plus se passer comme dans mes plans et je n’aime pas du tout ça. Il a fallu combattre, combattre la maladie en se protégeant au mieux et combattre mes pensées, mes doutes, mes craintes pour réussir à lâcher prise et tu dois déjà savoir que pour moi c’est une épreuve. Ta présence n’a été que bénéfique dans ce moment particulier. Tes frères aussi m’ont beaucoup aidée, deux petits gars plein d’énergie h24, ça occupe l’esprit et pas que.

Il m’a fallu du temps pour accepter ce qu’il se passait dans notre monde, et encore aujourd’hui, je ne sais pas si j’accepte vraiment, je vis avec comme tous, mais mon moi inconscient continue à me faire croire que c’est une vie parallèle, que c’est réel sans trop l’être, qu’on va peut-être se réveiller un jour, c’est mon moyen de lutter et de ne pas me laisser abattre.

Tu auras un prénom empreint de liberté, un prénom qui espère et qui a confiance, c’était écrit.

Parfois je me demande quand même dans quel monde je te fais venir. Ce monde où la nature n’a peut-être plus que ce genre de catastrophe à envoyer  comme message pour qu’on remarque enfin qu’elle nous offre le plus beau chaque jour, ce monde où il faut les pires horreurs pour comprendre combien il est important de prendre le temps, de profiter des siens, de penser à soi et à sa famille. Ce monde où quasiment tout le monde a oublié le sens de la vraie vie. Ce monde où les gens préfèrent se bagarrer, se plaindre, se juger, se mettre en compétition, plutôt qu’avancer ensemble et s’entraider. Ce monde où la critique est facile mais les actes peu nombreux. Ce monde ou la nature nous avertit mais où on ne tire jamais de leçons.
Ce monde où ta propre mère préfère souvent garder une partie de son esprit d’enfant caché dans un corps d’adulte pour se protéger, oublier, ne pas voir ce qui la dérange.

Et puis je me dis que je sais aussi que je te fais venir dans un monde auquel je crois encore et toujours et qui est capable du meilleur.  Qu’il y a tellement de merveilles à bien y regarder. Tu auras connu une épidémie mondiale, une catastrophe sanitaire et au milieu de tout ça, des lueurs d’espoir et des étincelles de joie et c’est cela qu’il faudra retenir.

Tu auras connu le plus beau printemps qu’on n’ait jamais eu. Tout est arrivé très en avance pile au moment où le temps nous était donné de le voir vraiment, comme si c’était fait exprès. J’aurai eu le temps de voir éclore les fleurs chaque jour et de sentir leur parfum. J’aurai pris le temps de voir encore plus que les années précédentes les beautés de la nature et de m’émerveiller chaque jour.

Tu auras connu le 20h en musique, les concerts de trompettes et de djembé pour applaudir les soignants et toutes les professions essentielles qui nous permettent de continuer à vivre mais que les politiques ont trop souvent oubliées eux. Une sorte d’immense cri à l’unisson qui montrait que malgré tout, nous étions toujours vivants, nous étions là, nous étions ensemble.

Tu auras connu la solidarité entre les gens, les liens sociaux plus forts, les camionnettes des petits commerçants qui passent dans les rues et qui permettent les conversations, les rencontres, les sourires et le soutien, les anniversaires des uns et des autres chantés depuis les fenêtres et les balcons des voisins, les activités offertes via les réseaux sociaux pour occuper les enfants, l’accès à la culture démultiplié sur tous les sites possibles et inimaginables malgré l’isolement et les réunions de famille par webcam, téléphone ou mails qui se faisaient plus nombreuses que d’ordinaire malgré la distance pour partager le quotidien.

Tu auras connu un air plus pur et des chants d’oiseaux plus prononcés.

Tu m’auras vue comme je ne peux pas me voir, comme je déteste me voir, ne rien contrôler, être obligée de lâcher prise, de me laisser porter, de faire avec et parfois même de ne rien faire. Et tu auras vu que c’est possible et que c’est bien aussi.

Tu auras eu les rires de tes frères, leurs maladresses, leurs câlins, leur inventivité dans le meilleur comme dans le pire 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.

Tu auras eu la présence de ton père comme jamais il n’aurait pu l’être sans tout cela.

Tu auras un prénom empreint de puissance, un prénom qui domine et qui ne s’ébranle jamais.

Dans cette épreuve,

Tu m’auras fait tenir autant que je t’aurai fait vivre.
Tu m’auras redonné l’énergie et le sourire à chaque fois que j’étais inquiète, pour toi, pour mes proches, pour l’humanité.
Tu auras redoublé de mouvements chaque jour pour me montrer où était l’important et détourner mon regard du drame.
Tu m’auras permis d’acquérir une force considérable pour ne plus penser alors que je suis celle qui se pose 10 000 questions à la seconde, depuis toujours et dont le cerveau a du mal à s’arrêter.
Tu m’auras aidé à continuer à y croire et à me débrouiller sans œillères.

Tu m’auras apporté la résilience.

Rien n’est là au hasard, tout est écrit, il ne tient qu’à nous de se saisir des événements ou de les laisser passer, de les apprivoiser ou de les transformer.

Tu auras un prénom lié à plusieurs histoires et moments d’Histoire, un prénom chargé en significations mais quand tu le porteras, il ne prendra que le sens que tu décideras de lui donner, un sens différent, le tien.