Il y a une semaine, la cloche retentissait une dernière fois dans les couloirs de l’école avant de se mettre au repos pour un peu moins de deux mois. Les cloches ne sonnent plus mais les écoles sont encore ouvertes et si on pousse la porte, on y trouve encore des enseignants qui s’affairent dans un calme agréable et réparateur. Ils rangent, décrochent, nettoient, se remémorent des souvenirs, tirent des leçons et réagencent, préparent, renouvellent, étiquettent, rassemblent, anticipent. Ils utilisent leur dernières forces. Ils font le point et pensent déjà aux projets de la nouvelle année. Tout se pense en amont, les grandes lignes tout du moins et parfois avant même la fin de l’année précédente, c’est ainsi.
Je ne vais pas vous refaire le couplet habituel, vous savez depuis quelques années combien ce moment est particulier pour moi, cet entre deux où les enfants sont partis mais où l’on tente de maintenir encore un peu de vie dans les locaux de l’école. Vous savez que j’aime et que j’ai besoin d’écrire sur ce moment où les émotions se mêlent, où tout retombe d’un coup à tel point que l’on a l’impression que se relever pour recommencer sera presque impossible, où tout disparaît en tellement peu de temps que l’on a l’impression d’avoir juste rêvé. On regarde sa classe, si vide, si inanimée mais le corps et l’âme eux se souviennent encore. Ils restent marqués et il faut un peu de temps pour se défaire de ce qui fait presque l’effet d’une drogue, ce pourquoi on a tenu jusqu’au bout.
Mais cette année, cette fin pourtant habituelle me semble plus difficile que les autres.
J’ai la sensation, encore jamais éprouvée, d’avoir tellement donné que je ne pourrai pas faire mieux, ni même autant.
D’abord, probablement parce que cette année, grâce au transfert d’une classe élémentaire en maternelle, les effectifs se sont réduits, nous sommes passés de 30 à 21 et pendant 4 mois, j’ai eu 2 asem le matin, j’ai pu m’occuper des élèves correctement, de tous les élèves, même dans ma toute petite classe. Il n’y a pas de secret. J’ai pu mieux respecter leur rythme et leurs besoins, il n’y a pas eu un seul moment où j’ai dû juste survivre, j’ai vécu pleinement mon métier comme je l’entends avec toujours des difficultés à surmonter mais avec la satisfaction de pouvoir apporter à chacun et de manière juste. Mais il ne faut pas se leurrer, les effectifs vont progressivement augmenter à nouveau maintenant que l’ouverture est officielle et avec la réforme, respecter le rythme et les besoins ne semble plus la priorité… En vrai ça ne l’était déjà pas mais on pouvait encore faire parfois sa petite soupe dans son coin pour accommoder les choses et tenter de pallier au grand n’importe quoi de l’éducation nationale, ça risque de se corser.
Ensuite, parce que cette année, j’avais le thème idéal, celui qu’il fallait pour monter au sommet, la mythologie grecque, ma passion depuis l’adolescence. Cette année, on m’a demandé de la transmettre. Qu’est-ce qui aurait pu me rendre plus heureuse ? C’était juste le thème le plus passionnant sur lequel j’ai travaillé avec les enfants dans toute ma carrière. Ce thème qui soigne les blessures intérieures dont on n’a même pas connaissance, ce thème qui répond aux questions de notre inconscient, ce thème qui m’a emporté et les enfants avec, tellement loin que j’en ai souvent oublié mon sommeil et ma personne. Même les parents se sont laissés surprendre puis emporter dans ce tourbillon de légendes et n’en revenaient pas de l’effet sur leur progéniture et leur famille toute entière parfois, de ce que nous avons pu réaliser avec eux autour de ce thème. Le langage, le vocabulaire et la mémoire sont montés en flèche et les enfants se sont mis à demander les feuilletons de Muriel Szac pour Noël ou leur anniversaire. L’imagination est revenue et les jeux de récréation s’en sont trouvés enrichis. Les remerciements ont été dignes d’une ascension au Mont Olympe. Une année tellement riche et intense que je me demande comment je vais pouvoir recommencer.
Enfin, parce que je ne suis pas montée aussi haut toute seule. Le thème était idéal pour moi certes, mais les collègues l’étaient encore plus et cette année la cloche sonne aussi le départ d’une partie d’entre elles. Des collègues qui sont bien plus que ça, des amies et je ne veux pas mettre la pression aux nouveaux arrivants qui ont l’air vraiment charmants mais il s’est réellement passé quelque chose cette année, et je ne sais pas si ça peut se reproduire ;).
Quand la cloche à sonné vendredi dernier, quand la classe s’est vidée, je me suis sentie seule, vidée moi aussi, mais ce n’est pas tant le départ de mes élèves qui m’affectait cette fois. J’ai réalisé que mes collègues allaient bel et bien partir, pour de vrai, pas juste dans la cour d’à côté ou dans la classe du dessus. J’ai vu leurs cartons, j’ai vu leurs classes où leurs empreintes s’effaçaient et j’ai compris que je perdais le plus important. J’ai ressenti instantanément un manque, j’ai compris que j’allais devoir avancer sans elles, à la rentrée prochaine.
Les enfants qui partent franchissent une étape. Le chemin continue mais moi je m’arrête là, juste avant que la route ne bifurque. C’est mon rôle, à chaque fois, de les accompagner, de ne pas les retenir, surtout pas, au contraire, qu’ils puissent s’envoler plus haut. A la rentrée, ils ne seront plus « mes » enfants mais ils seront toujours là, me faisant toujours un sourire en coin à travers la grille, et on se remémorera des souvenirs parfois. Je garderai un oeil sur eux.
Cette année, je suis comme mes élèves et leurs parents et je perçois l’immense difficulté que ça peut être de passer d’un enseignant à un autre quand on s’attache à ce point, qu’on prend des habitudes, qu’on grandit avec lui. On a fait un bout du chemin ensemble, elles m’ont accompagnée (et j’espère les avoir accompagnées aussi), la route s’est élargie progressivement et aujourd’hui, il est temps d’en prendre chacune une nouvelle. Il faut couper un cordon devenu ultra résistant. Cette année, je verse des larmes différentes, et la rentrée aura un arrière goût de mélancolie. Je serai bien obligée d’ôter mes œillères habituelles, qui me servent en toutes occasions, même si j’ai bien pris soin de les fixer le plus fort possible cette fois. Au jeu du stop ou encore, ce sera stop pour cette manche qui clôturera la partie.
Je sais bien que les années à venir seront plein de nouvelles rencontres, de nouvelles richesses et que ça m’apportera beaucoup, que je découvrirai encore, que je partagerai à nouveau, que je rirai toujours mais je n’oublierai pas cette année, ces années qui m’auront fait rencontrer ces 4 collègues fantastiques auxquelles je pense aujourd’hui.
D’abord celles qui étaient de passage, là pour un an et même moins, mais qui auront marqué mon esprit et mon coeur comme jamais aucun enseignant n’a pu le faire en si peu de temps. Elles, ce sont celles que je choisirais sans hésiter si j’ouvrais une école ou quoi que soit d’autres d’ailleurs, celles qui m’ont boostées et qui m’ont donné envie de partager et de mener des projets plus que de raisons, celles qui savaient me donner l’envie de me dépasser et qui auraient pu me demander n’importe quoi, celles qui pouvaient me remonter le moral en 2 secondes, juste par leur simple présence, celles pour qui j’avais envie de ne montrer que le meilleur et avec qui j’ai tellement ri, celles qui m’ont accordé leur confiance et qui me suivaient dans toutes mes folies (même les plus foireuses, en redressant la barre quand il le fallait quand même ;)), celles auprès de qui je me suis sentie grande, légitime, compétente mais qui m’ont fait grandir encore plus.
C**** est exactement moi 10 ans en arrière, mêmes passions, même type de vie, même fragilité et sensibilité et mêmes envies, force et persévérance, même organisation. Bon en fait, je crois qu’elle est bien plus compétente que moi à son âge, ça promet 😉 . J’ai eu l’impression d’avoir une petite soeur le temps d’une année et c’était génial, une petite soeur à qui on donne autant qu’elle nous apprend, une petite soeur que l’on protège autant qu’elle vous rassure, une petite soeur avec qui on rit bêtement de choses bêtes et avec qui on construit des choses incroyables.
M****** serait plutôt mon contraire, calme, posée, réfléchie, capable de canaliser mon énergie comme personne, sans rien faire, inconsciemment presque. Avec elle aussi j’ai appris beaucoup, et j’ai ri. Avec elle, l’émulation a été totale et le plaisir instantané. D’un horizon différent du mien, j’ai été complètement admirative de son adaptation et de son investissement. Sans avoir pratiqué avant avec ce type de public très jeune, elle m’a pourtant appris bien plus que certaines avec de la bouteille.
Ensuite, les anciennes comme on dit, celles qui partent après 5 ans dans cette école et 5 ans de vie commune, ce n’est pas rien dans notre métier. Il y a 5 ans, nous arrivions toutes les 3 en même temps, avec un passé différent mais pleine d’envies pour un avenir commun.
M**** arrivait en élémentaire, elle est peu à peu devenue la maîtresse des plus grands de l’école, celle qui les aidait à franchir la passerelle qui mène au collège. Une enseignante simple, calme, posée avec une belle maîtrise de soi et pleine de richesses, de partages. Celle qui a créé un lien particulier entre les cm2 et les maternelles et qui a rendu possible des projets parmi mes préférés dans l’école, celle qui a aidé au partage entre les générations et à la transmission entre élèves. Je ne l’oublierai pas, je penserai forcément à elle quand on parlera médiation culturelle, coup de pouce, kermesse, danse traditionnelle, yoga et j’en passe. Elle aura laissé sa patte.
Et puis il y a A****, la zen attitude, qui prend son temps, qui sait faire la part des choses et prendre toujours la bonne distance quand il y a un problème, qui gère ses émotions et sa classe d’une main de maître, qui gère son temps de travail avec brio, qui aime l’ordre comme moi et avec qui j’ai donc rangé la réserve un nombre incalculable de fois, celle qui a été mon premier guide dans ce métier sans vraiment le savoir puisqu’avant elle j’avais été essentiellement remplaçante. Organiser une sortie, faire des commandes, tenir une coopérative, rédiger des dossiers, organiser les APC, je ne savais pas faire, alors je faisais tout comme elle et si aujourd’hui je suis à l’aise avec tout ça et je peux le transmettre à mon tour, c’est essentiellement grâce à elle. Avec elle, le lien est particulier, nous sommes tombées enceintes au même moment, moi de mon deuxième, elle de son premier. A peu de jours près, ils naissaient à la même date, ils ont été gardés chez la même nounou, élevés ensemble et ils ont eux aussi un lien particulier. On a échangé, on a partagé bien plus que sur le boulot, une collègue à qui je n’ai pas peur de tout dire, de donner mon ressenti car elle est toujours d’excellent conseil et elle sait me faire réfléchir avant d’agir.
A elles toutes réunies, elles ont fait de cette année, la meilleure de ma carrière et les larmes me viennent à l’écriture de cette phrase car ces rencontres marquantes n’arrivent pas tous les jours dans une vie. Aujourd’hui, je garde le moteur allumé même si l’essence est à court et je vais tâcher d’en trouver un peu ailleurs même si elle n’aura sans doute pas la même odeur, la même puissance. J’espère qu’un jour je croiserai à nouveau la route de mes fournisseuses préférées.
Aujourd’hui c’est à mon tour de dire « Merci maîtresses ».
Un joli message que je comprends car moi aussi je suis enseignante et je donne beaucoup. 3 collègues ont fait le mouvement cette année, difficile de travailler avec des gens incompétents, manipulateurs et menteurs. Donc très heureuse que 2 collègues s’en aillent! C’est un réel soulagement. On va accueillir 3 nouvelles collègues et je me dis qu’un renouvellement ne pourra faire que du bien.
Et sinon, en bonne prof que je suis, je suis tombée malade le lendemain de la sortie, mon corps m’a fait sentir que j’en avais beaucoup trop fait tout au long de cette année. Cette première semaine de vacances est donc synonyme de repos…
Ah oui c’est vrai que le problème inverse peut se poser, j’ai eu la chance de toujours travailler avec des collègues avec qui ça se passait bien, on s’entendait bien mais je sais qu’il peut y avoir des équipes avec des soucis, des clans,…. pas terrible. D’ailleurs je me dis toujours qu’une classe peut être difficile, si l’équipe est bien, c’est le plus important et on peut avancer et tenir malgré tout, alors qu’une classe avec laquelle ça roule à peu près mais une équipe en tension, ça peut être juste l’horreur. Malade le lendemain des vacances, un classique 😉 j’y ai échappé cette fois ! L’année dernière je me souviens de la joie d’avoir la gastro en juillet, cette fois ça va, il faut dire que par contre j’ai été particulièrement malade de février à quasiment juin, mon corps a essayé de me dire stop pas mal de fois donc tu as raison, il faut se reposer vraiment ! Bonnes vacances !