Je suis l’enfant d’après,
Celui qui redonne le sourire à une famille au cœur meurtri mais qui promène derrière lui une ombre à laquelle on pensera toujours.
Celui qui redore le présent tout en rappelant le passé.
Celui qui fait rire mais qui cache un caractère explosif et a une sensibilité exacerbée.
Celui qui connaît la douleur du deuil mais qui n’a jamais connu le disparu.
Celui qui rêve à ce que ça aurait été et qui sait ce que ça n’a pas pu être.
Celui qui a tout mais à qui il manquera toujours un morceau.
Celui qui ne veut pas grandir mais qui devient responsable avant l’heure.
Celui qui se bat et vit à 100 à l’heure parce qu’il sait à quel point la vie peut être courte.
Celui qui craint la mort autant qu’il la défie car il a été conçu encore plus que les autres pour vivre.
Celui qui se sent privilégié et invincible mais qui redoute l’arrivée de la nuit car il ne peut plus être vu, être actif, être vivant.
Celui qui a pleinement conscience de la chance d’être là mais qui en ressent aussi la culpabilité.
Celui qui sait cacher mieux que personne la douleur et la peine mais qui sait moins bien que d’autres vivre avec.
Celui qui pleure en silence et qui préfère les chansons tristes.
Celui qui se demandera souvent pourquoi mais qui aura toujours envie de crier merci.
Celui qui réussit un jour a accepter de laisser partir celui d’avant avec joie, libération et peur aussi, de le laisser vivre finalement.
J’ai appris plus que je n’ai souffert.
J’ai survécu, dans le vrai sens du terme, j’ai vécu encore plus, au delà de tout.
J’ai pris tout ce qui m’arrivait comme ma destinée et très souvent comme une chance, comme un privilège à ne pas gâcher. C’est aussi la raison de ma difficulté à faire des choix : vouloir tout tester, tout faire, ne pas réussir à se fixer, avoir trop d’envies.
J’ai appris à ne voir que le positif au point de fermer les yeux régulièrement sur toutes les horreurs du monde et d’y croire toujours malgré tout, un éternel optimisme et un espoir indestructible, le refus du monde adulte pour rester un peu à ses côtés peut-être, dans la douceur de l’enfance. Mais aussi pour réussir à accepter l’inacceptable.
J’ai été émerveillée à chaque seconde de ma vie par tout ce qui m’entourait et je continuerai à l’être.
Je suis celle qui a traversé cela et qui bénéficie d’une force intérieure inimaginable, celle qui plie mais ne rompt jamais, celle qui pleure souvent mais se relève toujours, celle qui est forte autant qu’elle est fragile mais qui ne montre souvent que le premier côté, je vis pour deux, je vis pour moi, je suis l’enfant d’après.
Je suis l’enfant d’après et désormais la femme, l’épouse et la mère d’aujourd’hui qui ne survit plus mais qui vit pleinement. Je serai toujours l’enfant d’après mais qui porte avec fierté la mémoire de celui d’avant, qui ne l’oubliera jamais, qui espère le connaître un jour, qui le connaît en fin de compte et peut-être mieux que personne, le lien par delà l’au delà semble parfois plus fort que le reste.
J’aurais pu appeler ce texte « Le chêne et le roseau ». Un clin d’oeil à cette fable de Jean de la Fontaine que j’ai dû lire seulement une fois dans ma tendre enfance. Pourtant, c’est celle qui m’a le plus marquée, celle que j’ai retenue. Enfin, je suis bien incapable de la réciter mais je me souviens du propos général. Et j’en retiens surtout un vers que je connais par coeur « je plie, et ne romps pas« . Celui là, je l’ai lu et je l’ai gardé en tête bien plus que tout ce que j’ai pu lire ou apprendre par coeur à l’école. Je ne sais pas pourquoi.
En fait si je sais pourquoi maintenant.
J’ai compris, ou plutôt, j’ai toujours su.
Il était le chêne, un petit chêne et malheureusement une tempête est passée par là, elle a tout dévasté comme c’est souvent le cas avec les tempêtes mais dans sa violence et sa folie, elle n’a pas vu que le petit chêne avait pris soin d’abriter une graine, et pas n’importe laquelle une graine qui allait donner un roseau.
J’ai plié, j’ai tellement plié, parfois presque jusqu’à toucher terre mais je suis encore debout et j’aime à croire que je le resterai toute ma vie 🙂
Je suis l’enfant d’après et je suis loin d’être le seul, c’est aussi pour ça que j’écris aujourd’hui.
J’écris pour dire aux parents, aux frères, aux soeurs, qui sont encore dans l’immensité de cette douleur, quelque soit le moment où ils ont connu cette tempête, que ce soit au moment où leur chêne n’était encore qu’une toute petite graine, au moment où il est sorti de terre ou au moment où il était déjà une petite pousse, qu’il y aura un après et que cet après sera invincible. Qu’avec la peine naîtra aussi une force quelque part.
J’écris pour tous ceux qui sont des enfants d’après et tentent de surmonter bien trop souvent la douleur de vivre avec cette image, je veux leur dire qu’ils sont bien plus que l’enfant d’après, ils sont chacun à leur manière un roseau. Et s’ils ne le savent pas encore, ça viendra.
Merci pour ce partage, quelle force !
Merci, je crois qu’elle est née avec moi 🙂 et je tâche de la conserver du mieux que je peux, à ma manière.
Merci pour ces mots, qui me touchent particulièrement après avoir perdu un bébé à 7 mois de grossesse et attendant l’enfant d’après.
Des frissons, des yeux embués et des mots qui résonnent.
Je suis touchée par votre ressenti. Merci pour ce retour. Votre roseau est en route et je vous souhaite une très belle rencontre !
J’avais lu votre article pendant nos vacances l’été dernier…Ces vacances étaient les plus sereines que nous passions. Ma petite voix intérieure semblant s’être apaisée j’arrivais enfin à profiter des bons moments que nous vivions ensemble. Et cet article est arrivé comme un point final pour me dire de me faire confiance et de lui faire confiance…. à mon roseau…espérant qu’il ne souffrira pas trop de tout cela…Merci pour ces mots sur ces maux.
Bonjour, je suis particulièrement touchée en lisant vos mots. Je pense qu’il faut savoir prendre tout ce qui nous permet d’avancer ou de se renforcer au moment où l’on en a besoin et si ce texte a pu apporter un peu de bon, alors tant mieux. Il y aura des questionnements, il y aura des doutes c’est certain mais le cheminement intérieur que vous avez engagé pour retrouver la confiance nécessaire à l’épanouissement de votre roseau et lui permettra de s’élever et d’être un roseau des plus forts et de dépasser une éventuelle souffrance. Vous en parlez et vous vous préoccupez de son ressenti, c’est très important, mes parents ne m’ont jamais rien caché, je suis née avec ça, j’ai toujours su et ça a été très important même si j’ai douté, si j’ai pleuré beaucoup pour évacuer le manque et l’incompréhension de ce genre d’événement une fois plus grande , s’il y a eu de la culpabilité et de la souffrance dont j’aurais dû plus parler, dont on aurait dû plus parler, ce qu’ils ont fait en ne niant pas ce passé et en l’intégrant à notre vie de manière naturelle était primordial et assurément salvateur pour eux, mes frère et sœurs et moi. Bonne continuation, je vous souhaite le meilleur !