Ce n’est pas la première fois que j’écris sur la fin de l’année scolaire. L’année dernière, à peu près à cette même date, alors même que j’étais encore en congé parental, j’en parlais déjà ici.
C’est toujours un moment important pour moi, c’est toujours un moment particulier avec un goût inimitable, une odeur bien spécifique, des sensations que je reconnaîtrais entre mille, des émotions qui grandissent et se mélangent prêtes à jaillir le jour J, celui où la cloche finale sonnera. On emmagasine, on accumule et ça explose. C’est comme le feu d’artifice que tu vas regarder chaque 14 juillet, il ne change pas beaucoup, c’est toujours à peu près la même chose et pourtant tu y retournes quand même. Tu le connais par coeur et pourtant tu es toujours surprise et tu as comme l’impression de le découvrir pour la première fois à chaque fois. Tu sais ce qui va se produire mais tu restes excitée et émerveillée. Tu attends le bouquet final avec impatience, tu es ravie lorsqu’il arrive enfin mais tu râles un peu parce que c’est déjà fini. Et quand les dernières étincelles sont redescendues, tu restes un peu toute chose, un peu enfant, un peu rêveuse puis tu rentres chez toi et tu oublies tout en quelques jours. Un dernier jour d’école, c’est un peu comme ça aussi.
Le dernier jour d’école, cette année, je n’ai pas pleuré. Et si tu me connais, tu sais que c’est rare. J’ai été touchée, j’ai été émue, la valse des émotions m’a envahie mais je l’ai bien gérée, je pensais même l’avoir vaincue car j’étais étonnée de ne pas ressentir l’immense fatigue du relâchement et de ne pas me trouver fébrile sur le chemin du retour. Je me suis dit ça y est, après 10 ans d’ancienneté ou presque, je ne pleure plus, les collègues avaient raison, un jour ça passe.
Pas si sûr que ça.
Dans ma tête ce n’était pas fini, il me restait quelques jours de travail la semaine suivante et je n’ai pas réalisé que c’était le dernier jour, exactement comme les enfants qui te disent au revoir comme un vendredi habituel car ils n’ont pas compris que le lundi suivant serait différent ou parce qu’ils ne veulent pas le comprendre histoire de se protéger du trop plein d’émotions qui les guettent. C’est plus facile de faire comme si et de se mentir.
Cette année, je n’ai donc pas pleuré, ou du moins pas tout de suite.
Aujourd’hui, jeudi 13 juillet, j’ai encore travaillé une longue journée dans ma classe. Mais elle fut des plus douces dans une école vide où les enfants du centre de loisirs étaient en sortie pour la journée, où les autres instits n’étaient pas présentes comme en début de semaine, où seules la gardienne et une dame de service rôdaient de temps à autre dans les couloirs. J’ai rarement connu une école aussi vide, aussi silencieuse, aussi inanimée. C’était particulier, j’ai adoré et détesté. J’ai détesté l’absence de sourires, de bruits et de vie et j’ai rapidement mis la radio en marche pour chanter et danser d’une activité à l’autre de temps en temps. Mais j’ai adoré être au calme, respirer, prendre le temps, observer, rêver dans une classe ou mon cerveau va habituellement à 100 à l’heure. J’ai adoré peaufiner les détails de la rentrée, m’émerveiller devant chaque ajustements, me rappeler les meilleurs moments et même les pires avec un sourire au coin des lèvres. J’ai adoré m’imprégner de la beauté du matériel qui n’a pas encore été effleuré. J’ai toujours trouvé les crayons taillés, les feutres neufs, l’odeur du matériel qui n’a pas encore vécu et les jolies bouteilles de peinture alignées d’une beauté sans nom. On voudrait que ça vive, on sait que tout le potentiel de ces outils scripteurs (tu as vu comme je parle bien), des supports et des matériaux va se révéler à travers les petites mains et en même temps on aimerait figer ce moment qui sera différent à la seconde où le premier élève franchira la porte de la classe le premier jour d’école. A ce moment là, l’odeur aura changé, les sons seront différents, le regard ne sera plus le même et quelque chose de nouveau émanera de cette classe, la transformation sera en marche mais on ne s’en rendra pas compte car on sera dans l’excitation, la joie, la peur, la pression du moment. On passera du statut d’observateur qui a été trop court mais tellement bon à celui d’acteur et on rentrera en scène pour de longs jours sans entracte. On ne retrouvera cette sensation très éphémère qu’un an après, au moment des grandes vacances. Quand on est dedans, quand les enfants sont là, tout est en ébullition et on ne voit plus rien pareil, on n’a plus le temps de le voir. Peut-être qu’on devrait essayer de mettre sur pause chaque jour pour retrouver ce statut quelques secondes, se poser dans la classe, observer, apprécier, sourire et se féliciter.
Aujourd’hui, c’était mon dernier jour, pour de vrai cette fois. J’ai essayé de rester aussi longtemps que je le pouvais, je ne voulais pas partir. J »ai tenté de me préparer car j’ai compris que j’allais une nouvelle fois me laisser envahir par quelque chose d’incontrôlable, ce que j’avais tenté de refouler quelques jours auparavant, le dernier jour d’école, une immense émotion qui mêle soulagement et nostalgie, peine et délivrance.
Quelques minutes avant la fin, je me suis dit que ce n’était pas possible, que ça ne pouvait pas s’arrêter là. J’ai rêvé que je passais une semaine entière de plus à goûter à ces sensations, à ce bien-être absolu d’être seule en classe. J’ai essayé de résister à ce noeud à l’intérieur de mon ventre, à ce grand n’importe quoi dans ma tête. J’ai essayé de me cacher à moi même que c’était le dernier jour, une nouvelle fois, j’ai essayé de contrer mes sentiments et d’embrouiller mon cerveau, j’ai essayé de faire croire à mon petit coeur de maîtresse passionnée et naïve que j’allais revenir le lendemain mais personne ne m’a cru, personne n’a été dupe et les larmes sont montées. Je les ai contenues comme j’ai pu. Sur un air de « J’y crois encore » de Lara Fabian (oui j’assume, j’ai écouté Chante France toute la journée), j’ai rangé mes affaires, il faut croire que c’était écrit.
J’ai ressenti un immense plaisir, la satisfaction, le goût de trop peu, la peine, le soulagement, la fierté, le stress, l’inquiétude, j’ai fait les montagnes russes et j’ai valsé entre « Enfin » et « Déjà », et puis j’ai laissé faire, parce qu’enfin de compte si ce joyeux bordel a lieu en moi à chaque fois, c’est certainement qu’il y a une raison. C’est un peu de sa faute si je reviens chaque année et si j’y crois encore (Lara Fabian, sors de ce corps) et toujours à chaque rentrée.
Aujourd’hui, j’ai fermé la porte à double tour, j’ai jeté un coup d’oeil par la vitre, j’ai pensé : « C’était vraiment génial ! » (pourtant cette année a été vraiment difficile) ; je me suis questionné : « Il faut vraiment s’arrêter ? » et je me suis répondue : « Il faut vraiment s’arrêter. ». Je sais au fond de moi que c’est nécessaire, salvateur, et important. L’odeur avait déjà changé à peine la porte claquée. L’adrénaline est retombée, je me suis autorisée à lâcher et la fatigue m’a submergée.
Et les larmes ont finalement coulé.
Aujourd’hui c’était vraiment le dernier jour d’école de cette année scolaire.
J’ai quitté l’école et les larmes vite essuyées, le relâchement a continué sous une autre forme. Je me suis retenue de hurler « Capri c’est fini » (j’ai vraiment du goût en matière de chanson), la Reine des neige m’a envahie mais là encore je me suis maîtrisée (quel dommage) et j’ai su rester digne, j’ai évité de sautiller bêtement comme une ahurie le long de l’école, de tournoyer, de faire voler mes bras dans une chorégraphie de pas chassés mêlées à quelques envolées ridicules mais tout ce magnifique final digne des plus grandes comédies musicales (je tiens un futur projet de ouf là non ?), je l’ai gardé dans ma tête (encore une fois quel dommage) au risque de perdre ma crédibilité pour la rentrée prochaine (oui mes élèves ne sont pas tous en vacances et ils habitent le quartier forcément).
Puis je suis arrivée chez moi où plus personne ne pouvait me voir, vous imaginez la suite ? 😉
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