A L*** (mon petit Caillou),

C’était le week-end du 13 novembre 2015. Ce week-end là, je pensais commencer à coudre ton Bai jia bei, ta couverture aux voeux. Le vendredi soir, j’avais déjà étalé tous les carrés de tissus sur le sol du salon pour me faire une idée de ce que ça donnerait. Puis j’avais pris une photo et j’avais tout empilé minutieusement pour pouvoir commencer la couture le lendemain. C’était avant et il y a eu un après, pas celui que j’attendais.
Le lendemain, j’ai commencé la couture, c’était prévu ainsi et malgré les évènements difficiles, j’ai décidé de ne pas changer mes plans. Au contraire, je me suis encore plus investie dans la tâche. J’ai cousu régulièrement pendant ces deux jours de deuil national. J’ai cousu parce que célébrer la vie qui allait arriver était plus important que tout, peut-être encore plus à ce moment là. J’ai cousu pour détourner de temps en temps mon regard de l’actualité tragique et m’accorder les respirations salvatrices nécessaires.
J’ai cousu parce que je refuse que pour toi, ce jour du 13 novembre 2015 soit celui des attentats de Paris. Il ne sera pas le jour où une poignée de monstres se seront unis pour faire le mal, non ! Il sera le jour où un grand nombre de personnes proches ou moins proches, des personnes que je ne vois même pas tous les jours, de tous les âges et de toutes les cultures différentes, se seront unies pour t’apporter tout le meilleur de ce monde, plein de force et autant de douceur. Il sera le jour où tous les voeux qu’ils t’ont prodigués, parfois de l’autre bout du monde, auront été réunis au travers de l’assemblage de carrés de tissus remplis de couleurs.
En ce week-end du 13 novembre 2015, je suis contente de m’être lancée dans ce projet, il prend encore plus de force, il me semble encore plus important que je ne le pensais, il symbolise l’union et l’humanité. Et quand moi-même je ne croirai plus en ce monde de bisounours que je m’entête à conserver depuis toute petite (et ce n’est pas fini), il me suffira de te regarder dans cette couverture pour reprendre espoir. Et si ça n’est pas encore assez, je me roulerai dedans avec toi. Parce que toi aussi, plus tard, tu en auras besoin. Quand des drames arriveront, que tu seras perdu, que tu chercheras à comprendre mais que tu n’y arriveras pas car comme moi tu ne seras pas conditionné pour comprendre la haine alors tu en auras besoin, besoin de voir que l’union et l’amour existent et restent toujours malgré tout.

Aujourd’hui, je te le dis mon fils, oui ces derniers jours, malgré ce beau projet de couverture, j’ai eu du mal à détourner les yeux de l’actualité, j’ai eu le coeur rempli de larmes, j’ai eu l’esprit torturé car je voulais comprendre l’incompréhensible et tu as dû le sentir car tu t’es fait plus discret qu’à l’habitude. Alors, à un moment, on a dit stop, on a décidé de troquer BFM TV contre le dessin animé Vice Versa et on a continué à sourire et à rêver, et on a fait de la place dans notre coeur pour des larmes plus joyeuses cette fois. C’était le week-end du 13 novembre, il y a eu un avant et il y a eu un après. Aujourd’hui, je te dis ce que je n’ai pas pu te dire avant : ne t’inquiète pas. Je reprends doucement le dessus, je vais te protéger, ta famille au sens large du terme va te protéger. Aujourd’hui, je pense à toi, tu as repris tes galipettes dans le ventre, dans quelques jours, tu seras là et je suis prête à t’accueillir.

Ta Mamand516cba9973edc17f4706a008565b074

2 réponses
  1. Nelly Sautet
    Nelly Sautet dit :

    Tout plein d’amour dans cet écrit, par la pensée je partage tes émotions, et oui nous vivrons, non pas sans peur ni crainte, ni douleurs, mais heureux d’ouvrir les yeux chaque matin encore et de s’entendre respirer ….bises

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  2. Marie
    Marie dit :

    Aujourd’hui, sur mon chemin, j’ai croisé des drapeaux ça et là suspendus aux fenêtres. Je savais bien ce que ça voulait dire mais je me suis dit : « Tiens, on dirait un jour de finale de coupe du monde ». Puis j’ai souri. Un sourire peiné. Et je me suis dit « Si seulement c’était pour un jour de finale de coupe du monde. »
    Ensuite, j’ai réalisé que ces drapeaux venaient de me faire marcher pour la première fois la tête plus haute, la tête levée et que je n’avais jamais remarqué tous ces détails d’architecture, les façades, tout ce qui se trouve en haut des immeubles, les beautés urbaines les plus cachées et puis le ciel. C’est beau le ciel en fait, même gris. Alors j’ai pris du temps à observer (faut dire que je ne marche pas bien vite avec mon gros Caillou dans le ventre) et du plaisir aussi.
    Puis j’ai croisé le regard d’une dame. Avec ma jolie démarche de petit ver qui aurait avalé une citrouille, elle a bien vu, comme tous, qu’il se tramait quelque chose et que c’était imminent. Elle m’a souri, elle m’a dit quelques mots, qu’elle penserait à moi pour que j’ai un accouchement sans douleur et que tout se passe bien et d’autres choses. Le genre de remarques spontanées et bienveillantes qui font plaisir. J’ai souri, un sourire apaisé.
    Au retour, sur mon chemin, j’ai croisé à nouveau des drapeaux ça et là suspendus aux fenêtres. Je savais toujours ce que ça voulait dire mais je me suis dit : « Elle est belle ma ville, même sous la grisaille ». Puis j’ai souri, un sourire heureux. Et je me suis dit : « Ils ont eu ma peine, ils ont eu ma peur mais ils ont surtout eu autre chose, quelque chose auquel ils n’auraient sûrement pas pensé, un regard neuf et un amour plus fort du monde qui m’entoure.

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