Lettre à S**** et L***

Aujourd’hui, c’est le premier jour du reste de ma vie, je sais ça sonne comme un livre mais je n’aurais pas trouvé meilleure phrase pour vous dire que ça va changer.

Je n’y arrive pas, je n’y arrive toujours pas. Je crois bien que le problème, c’est que je suis comme vous, une enfant.
Je n’ai pas grandi, ou plutôt j’ai grandi à l’envers. Adulte avant l’âge, et enfant trop tard. Je crois, je ne sais pas trop. Naïve et colérique. Ou devrais-je dire rêveuse et émotive, ce serait peut-être plus juste.

Est-ce qu’un jour vous m’en voudrez ?

Est-ce que vous m’en voudrez d’avoir été une enfant, pourtant responsable, pourtant très organisée, pourtant sur tous les fronts, tout le temps, en permanence, trop peut-être, comme s’il fallait prouver quelque chose. Mais une enfant quand même utopiste avec des émotions exacerbées parfois, souvent, trop souvent.
Il paraît qu’un adulte ça contrôle ses émotions, et moi je peux exploser, je crie, je pleure, mes émotions me dépassent, elles sont plus fortes et ce que je vous apprends à faire, je n’y arrive pas toujours moi même, les accueillir pour les dépasser et j’ai peur, je vous le dis, parfois.

Est-ce que vous m’en voudrez d’avoir tout fait pour vous mais peut-être pas l’essentiel, d’être à 100 à l’heure, d’avoir du mal à me poser, de ne pas être plus simple, juste présente, juste là avec zéro projet dans la tête, avec aucune autre pensée, pas de ménage, pas de rangement, pas de choses à inventer, imaginer, construire, être juste là avec un seul projet, vous, vous regarder, vous écouter, vous laisser diriger, vous laisser m’emmener dans votre monde, dans vos jeux, dans vos délires et oublier les miens ?

Est-ce que vous m’en voudrez de vous en demander trop, d’oublier que vous êtes encore petits, de croire que tout va fonctionner tout le temps, de vouloir vous emmener ailleurs sans accepter que cet ailleurs là n’est peut-être pas le votre mais le mien ?

Est-ce que vous m’en voudrez de ne pas être une mère parfaite, de ne pas être la bienveillance incarnée que l’on voit partout aujourd’hui comme une obligation, la bienveillance absolue qui ne commet jamais d’erreurs sous peine de se faire pendre en place publique, cette bienveillance si simple pour d’autres mais que moi je peine parfois à trouver, qui me demande du travail, qui m’angoisse souvent, qui me fait culpabiliser toujours ? Cette bienveillance pure et naturelle il paraît mais qui ne l’est pas chez moi, ou différemment, et que l’on nous matraque tellement à longueur de journée que l’on craque encore plus finalement.

Vous m’en voudrez, c’est certain mais jamais autant que moi, je m’en veux déjà, tellement.

Mais ce soir, j’ai décidé que ça se passerait autrement, que s’apitoyer sur mon sort ne serait plus suffisant, que culpabiliser ne servirait à rien, qu’il fallait agir, réagir et réussir ce que je tente depuis tellement longtemps. J’ai décidé d’y arriver, j’ai décidé que je ne serai jamais une mère parfaite mais que je ferai tout pour être une mère acceptable. J’ai décidé de l’écrire pour pouvoir le lire à chaque fois que j’en aurai besoin, à chaque fois qu je douterai, à chaque fois que j’aurai peur de retomber dans mes travers, à chaque fois que mes émotions me submergeront et que mes promesses seront mises à rude épreuve.

Quand ma petite boîte se remplira à nouveau de colère et sera prête à déborder, je m’éloignerai un peu pour respirer, m’apaiser et revenir avec une boîte plus vide, prête à se remplir de quelque chose de plus doux. Et vous apprendrez à me laisser.
Quand vos cris seront tellement puissants que mes oreilles ne pourront les contenir, ce sont mes bras qui s’ouvriront et mes câlins seront plus fort que le bruit. Et vous apprendrez à chuchoter.
Quand vous n’arriverez plus à partager au point de vous faire du mal l’un et l’autre, je ne couperai pas la poire en deux mais je donnerai à chacun ce dont il a besoin à ce moment précis. Et vous apprendrez à communiquer.
Quand vous me réclamerez quelque chose que vous ne pouvez pas avoir à corps et à cris, je continuerai à vous dire non mais je vous apporterai bien plus, ma présence. Et vous apprendrez à accepter.
Quand vous hurlerez que vous n’êtes pas d’accord, je vous chuchoterez que je vous aime. Et vous apprendrez à l’entendre.
Quand vous pleurerez à chaudes larmes, je vous donnerai un mouchoir plus grand. Et vous apprendrai à essuyer.
Quand vous commettrez une maladresse, je vous donnerai ce qu’il faut pour l’effacer. Et vous apprendrai à réparer.
Quand vous aurez mal, j’aurai une panoplie de pansements. Et vous apprendrez à cicatriser.
Quand vous serez trop fatigués, je deviendrai un nid douillet. Et vous apprendrez à vous reposer.
Quand vous serez trop excités, je serai la première à démarrer la bataille de coussins. Et vous apprendrez à rire.
Quand je n’y arriverai plus, je regarderai en arrière pour mieux aller de l’avant. Et vous apprendrez à m’aider à me souvenir.

Et puis j’apprendrai à relativiser, à déléguer, à lâcher prise, à oublier, à anticiper, à accepter de ne pas contrôler et à m’apaiser et ça prendra encore un peu de temps certainement.

Et puis quand je n’arriverai à rien faire de tout cela, parce que parfois ça arrivera peut-être encore malgré tous mes efforts, il faudra vous rappeler de ceci :
Je ne m’attends pas à ce que vous soyez parfaits parce que vous êtes déjà tellement plus qu’acceptables et que vous êtes faits pour la maman que je devais devenir. Vous m’élevez, chaque jour un peu plus. Je n’ai jamais dû faire autant d’efforts dans ma vie. Tout a été si simple jusque là, tout à été facile à côté de vous, mais rien n’a jamais été aussi bouleversant, aussi révélateur, aussi porteur, rien ne m’a jamais appris autant, donné autant. Avec vous, je suis né une seconde fois avec un milliard d’idées, un milliard d’envies.
Vous m’avez appris à accepter l’enfant qui est en moi, celui qui veut vire à 100 à l’heure parce qu’il sait mieux que personne la chance qu’il a d’être en vie, à lui dire qu’il a enfin le droit d’hurler, de vouloir grandir et rester petit en même temps, qu’il a le droit d’exploser, qu’il a le doit d’être pénible parce qu’en fait il n’est pas pénible, il est juste vivant. A mon tour, je vous promets de tout faire pour apprendre et réussir à accepter qu’il se passe la même chose en vous.

Je vous aime.

9 réponses
  1. De bulles en aiguilles
    De bulles en aiguilles dit :

    Ton texte est magnifique. Si triste mais plein d’amour et d’espoir aussi !
    Tu ne seras jamais une mère parfaite car cela n’existe pas mais surtout, grâce à tes imperfections tu deviendras la meilleure des mères !
    Une psychologue m’a dit un jour que une chance pour nos enfznts d’avoir des accès de colère, des moments moins dispo etc… Car on leur apprend que tout le monde peut-être faillible et on leur donne le droit de l’être aussi.
    J’espère que tu dormira mieux dans les prochains jours et qu’avoir poser tes maux pourras t’aider.
    En tout cas bravo d’avoir oser le dire et merci car cela va m’aider à m’accepter aussi (je chemine doucement mais je fais des rechutes )

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    • Marie
      Marie dit :

      Merci 🙂 ça me touche et ça me rassure de voir que je ne suis pas la seule. Au fond je le sais que je ne suis pas la seule mais on ose plus rien dire parce qu’on parle sans cesse de bienveillance envers les enfants partout mais entre adultes, elle semble souvent disparaître et on voit rarement sur les réseaux sociaux se dire qu’un adulte qui commet quelque chose qui peut nous sembler grave et contraire à l’éducation que l’on prône est peut-être en souffrance plutôt que d’accabler en permanence ce parent qui s’il n’est pas à 100 % comme on dit qu’il est bon d’être est forcément malveillant et le fait exprès. On pense beaucoup à l’enfant, c’est important mais il faudrait aussi penser à l’adulte et chercher à le comprendre lui aussi et à lui donner le droit d’avoir des émotions parce que les refouler sans cesse, c’est parfois pire.

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  2. Biboumam
    Biboumam dit :

    Je me reconnais bcp dans tes mots, surtout dans le fait qu’à force de chercher la perfection, on en oublie d’être juste présente… alors merci de les avoir posés, ces mots, pour nous toutes…

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    • Marie
      Marie dit :

      Merci pour ce message, ça aide beaucoup d’avoir ces retours positifs, compatissants et de voir que nous sommes nombreux-ses à vivre ça

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  3. Cruche Power
    Cruche Power dit :

    Waow! !! Certains passages j ai l impression de les avoir écrits moi même. MERCI pour ce très beau texte
    Je me reconnais beaucoup dans ces émotions, ces ressentis, certaines erreurs, la très (trop) grande exigence envers soi même, la volonté de tout contrôler et la difficulté a déléguer… entre autre… Mais
    par dessus tout le desir/besoin viscéral de les rendre heureux

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    • Marie
      Marie dit :

      Oh merci beaucoup pour ce commentaire, je suis très touchée et c’est très bien résumé, nous sommes finalement plus qu’on ne croit à être et ressentir tout cela 🙂

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